La communication militante efficace

Lorsqu’on milite pour une cause qui nous tient à cœur, nous avons tendance à foncer tête baissée. Certaines prises de parole nuisent même à la cause que nous défendons. La communication est un savoir-faire complexe. Il est impossible d’avoir la recette parfaite, qui dépend beaucoup de la situation et de votre interlocutrice*, mais vous trouverez ici quelques pistes de réflexions pour mieux influencer dans un cadre militant, dont la plupart sont inspirées de cet article du Vegan Strategist.
*(Pour rassurer l’Académie Française et ne pas utiliser l’inclusif, ce texte est au féminin neutre)

Avant cela, commençons par une question éthique:

Est-il éthique d’influencer l’autre…

A son insu ?
Nous sommes constamment influencées par notre environnement. Nous influençons les autres par nos actions ou nos absences d’actions, qu’on le veuille ou non.

Volontairement ?
Ce qui importe sont les conséquences de nos actions. Que quelqu’un finance l’exploitation animale en connaissance de cause ou non ne change rien pour les victimes. C’est la même chose ici: peu importe nos motivations, ce qui compte, ce sont les conséquences de nos actions.

Pour le propre bien de notre interlocutrice ?
L’ignorance permet d’être plus heureuse que la culpabilité devant les conséquences de nos actes, ou la restriction responsable. La conscience du devoir moral ne rend pas plus heureuse mais elle est nécessaire au bien du plus grand nombre.

Choisir son interlocutrice

Ciblez les personnes ayant le plus gros impact individuel sur l’exploitation des animaux. Qu’une grosse mangeuse de viande devienne flexi épargnera plus d’animaux qu’une végétarienne devienne végane flexi épargnera plus d’animaux qu’une végétarienne devienne végane, à condition que le fexitarisme en question ne remplace pas la chair de gros animaux (viande rouge) par celle de petits animaux (oiseaux et poissons) (Deux semi-véganes équivalent-ils à un végane ?). Mais tenez aussi compte de la difficulté que vous pourriez avoir à influencer une personne qui ne partage pas du tout vos valeurs !

Il est beaucoup plus efficace pour la cause animale que la personne que vous influencez devienne militante plutôt qu’elle devienne (juste) végétalienne. Si chaque personne influencée en influence 3 autres, etc., notre impact devient exponentiel et nous pouvons espérer un changement de société. Ne recherchez pas à provoquer un choix personnel (santé, spiritualité…), mais à susciter un devoir de justice envers des victimes innocentes et ne pouvant pas se défendre par elles-mêmes (animalisme, écologie…). S’adresser à la vertu de chacune peut même rendre la militance pour les animaux difficile, le public identifiant le véganisme à un choix personnel, pour lequel il est incompréhensible qu’on fasse du prosélytisme. Pour multiplier votre impact, il est bien plus efficace de cibler les minorités agissantes (militantes pour d’autres causes sociales), des personnes ayant de fortes visibilités (célébrités) ou étant en situation de pouvoir (politique ou économique).

Pour une discussion sur l’efficacité d’une telle stratégie ciblant des individus, voir La stratégie véganiste est-elle vouée à l’échec ?

Le modèle du changement

Ne pensez pas le changement que vous voulez induire comme quelque chose de linéaire. Les publicitaires savent bien qu’il est possible de changer les comportements d’une personne sans avoir à la convaincre par des arguments, ni même la rendre consciente d’une envie de changement. Il est plus facile d’accepter une idée lorsque le fait de l’accepter ne va pas changer notre confort, ou ne risque pas de nous faire sortir de la norme. C’est pour cela qu’il est plus facile d’adhérer à des thèses complotistes que de s’interroger sur la moralité à financer l’exploitation animale sans nécessité.

On adapte souvent ses idée à ses intérêts (ex : les rhétoriques essentialistes sur les Noirs ne sont apparues qu’après le début de l’esclavagisme). La plupart des personnes n’ont jamais choisi de manger des animaux, mais si vous les mettez en situation de devoir justifier leur comportement, elles rechercheront à se justifier par des arguments auxquels elles n’avaient jamais pensé. Agissez sur la facilité à changer son comportement autant que sur la motivation à changer. Tout en gardant l’objectif clair, proposez des étapes pour y parvenir. Signalez des textes ou vidéos intéressantes pour mieux comprendre le problème, aiguillez vers des rencontres ou des restos végétaliens, présentez toutes les étapes qui vous semblent faciliter la transition vers le militantisme animaliste.

illustration adaptée de l’article Seriez-vous aujourd’hui végane si… du Vegan Strategist

Au delà du sujet qui nous intéresse ici, il est important d’avoir à l’esprit que nos actions politiques et de soutien aux associations peuvent avoir un impact considérable sur la facilité à changer. Bien plus que notre propre consommation !

Pourquoi éviter la polarisation

Changer d’opinion est difficile. Votre interlocutrice peut avoir de nombreuses raisons inconscientes de rejeter vos idées, autre que leur inexactitude. Elle peut ne pas voir comment se conformer au véganisme, penser qu’elle mourra si elle ne mange que des végétaux, ne pas arriver à sortir de ses habitudes, avoir peur de sortir de la norme, trouver trop dévalorisant pour elle et ses proches d’admettre la participation au massacre de masse des animaux, ne pas admettre avoir eu tort (surtout face à quelqu’un qui lui fait la leçon).

Ainsi, il va être malheureusement très facile de polariser une discussion avec d’un coté vous, qui voulez provoquer un changement, et de l’autre côté la personne campant sur ses positions (Dix astuces pour facilement rendre hostile un mangeur de viande).
Plus vous insistez, plus cette personne aura tendance à se crisper et cherchera des arguments pour contrer les vôtres, en sélectionnant toutes les données qui l’arrangent et ignorant celles qui vont dans votre sens, et s’opposera à vous. On ne peut pas à la fois se poser en adversaire d’une personne et efficacement l’influencer. Chercher à convaincre une personne qui ne veut pas être convaincue peut en faire une adversaire. Votre communication peut très vite se retrouver contre-productive. Vous augmentez alors la pente de l’effort nécessaire pour être militante. De nombreuses personnes ne deviennent jamais véganes, ne militent pas ou cessent de le faire à cause du rejet des végétariennes, d’autant plus si elles le sont par recherche de justice sociale (végéphobie). Participer malgré soi au développement de cette végéphobie c’est se priver de nombreuses forces du changement.

Si votre interlocutrice commence à s’opposer à ce que vous lui dite avec mauvaise foi (cri de la carotte, végane sur une île avec un cochon…), vous pouvez vous dire que vous êtes entrées dans une dynamique d’opposition, et que le meilleur à faire est alors de stopper cette conversation poliment.

Comment éviter la polarisation

  1. Soyez d’apparence calme et bienveillante. Les personnes qui ne savent pas maitriser leurs émotions, surtout la colère, n’inspirent pas la confiance mais la défiance.
  2. Proposez des solutions rapidement de petites choses pour commencer à agir pour les animaux, et évitez d’étiqueter la personne, de l’ancrer dans son passé en rappelant ses actions ou en la mettant en situation de se justifier. (Détails sur 8 astuces pour ne pas être un végane moralisateur)
  3. Montrez que vous partagez des opinions avec votre interlocutrice et qu’elle en partage avec vous. Recherchez et insistez sur ce qui vous rapproche. En particulier, quand vous avez un point de désaccord, demandez-vous s’il est vraiment utile d’en parler.
  4. Montrez que vous n’êtes pas détentrice de la Vérité et savez douter. Sachez reconnaître quand votre interlocutrice a raison. Ne connaissez pas que les arguments “contre” un sujet, sinon admettez ne pas l’avoir assez étudié. Personne ne veut se retrouver à la place d’un enfant recevant une leçon de morale. Plus on est convaincue, moins on est convaincante. (Laisser de la place au doute)
  5. Attribuez le changement à un facteur extérieur (“C’est plus simple pour toi de manger végane depuis que les supermarchés vendent aussi des plats préparés véganes”)
  6. Attribuez le changement à l’interlocutrice elle même:
    1. Recherchez et valorisez les précédents l’ayant amenée à adopter des comportement plus justes
    2. Présentez de manière positive la capacité à adapter ses actes à ses convictions
    3. Vantez l’ouverture d’esprit et la capacité à remettre en question son propre construit sociétal, son éducation
    4. Valorisez la curiosité. Proposer des sources fiables qu’elle pourra consulter d’elle-même
    5. Demandez un retour sur les documents proposés pour valoriser son opinion et vous placer en attente de sa part
    6. Utilisez la maïeutique (exemple sur l’idée de moralité de la nature) : faire en sorte qu’elle trouve d’elle même le raisonnement amenant à l’animalisme.

      Illustration http://www.insolente-veggie.com

Mettez vous à la place de l’autre

  1. La façon dont vous avez changé n’est pas la façon dont tout le monde doit changer (que vous ayez changé subitement après avoir été culpabilisée ou que vous ayez lentement progressé vers la militance).
  2. Détectez les centre d’intérêts ou les valeurs de votre interlocutrice pour vous appuyer dessus.
  3. Parlez le même langage. Utilisez les termes spécifiques avec parcimonie, et explicitez les si vous les utilisez pour la première fois. Vous ne voulez pas paraitre pédante ou perdre votre interlocutrice.
  4. Orientez vous vers de l’émotionnel (comparaisons, concret) ou du rationnel (statistique, théorique) suivant le mode de communication privilégié de l’autre.
  5. Détectez ce qui peut la bloquer, quelles sont ses peurs (nutrition, regard des autres, l’argent…). A-t-elle besoin d’informations spécifiques ?
  6. Détectez ce qui la motiverait, ses valeurs, ses aspirations personnelles.
  7. Vous n’êtes pas votre interlocutrice : ce qui compte n’est pas ce que vous avez envie de dire, mais ce que votre cible peut entendre pour changer.

Sachez vous arrêter au bon moment

Persister dans une opposition créera un rejet : vous nuirez à votre cause. Retirez-vous alors poliment de la conversation.

Même si la conversation s’est bien passée, évitez d’arriver à saturation en temps et en information : soyez sensible aux signaux d’intérêt ou d’agacement qu’envoie votre interlocutrice. Ce n’est pas parce qu’une personne était ouverte à la discussion que vous ne l’importunerez pas en lui tenant la jambe 15 minutes.

Laissez la personne évoluer “par elle même” sans avoir l’impression d’avoir été convertie.Les images d’introduction et conclusion sont issues de Insolente veggie – Une végétalienne très très méchante