Où mène la confrontation ?

Cet article est une adaptation libre de l’essai Direct Action Leading Where? par Alex Felsinger et peut sur-représenter des arguments en défaveur de la confrontation. Vous pouvez en apprendre plus sur le sujet en lisant cet article plus neutre ou encore cette réponse à l’article d’Alex.

La question des droits des animaux est une question de justice sociale. Les animaux font partie de notre société, ne devraient pas être traités comme de simples produits. Ils devraient au contraire se voir accorder des droits fondamentaux et statuts sociaux en accord avec leurs capacités. Cependant, bien que nous puissions apprendre des mouvement sociaux passés et contemporains, notre cause en diffère significativement, rendant souvent notre démarche plus difficile : nous ne n’avons pas la légitimité des victimes, sommes peu nombreux et devons changer des opinions et des comportements très ancrés. Pour réellement progresser, nous ne pouvons isoler les résultats obtenus par certaines stratégies du contexte dans lequel ces résultats ont été obtenus. Nous devons en particulier comprendre en quoi les circonstances de la lutte pour les droits des animaux sont inédites, et pourquoi le support de l’opinion publique jouera un rôle décisif dans notre faculté à atteindre la masse critique permettant un basculement social. Nous devons admettre les difficultés auxquelles nous faisons face lorsque nous recherchons la confiance et la compréhension du public, et nous défaire des comportements empêchant le public d’adhérer à notre cause.

Certaines stratégies dans notre mouvement font appel volontairement à la confrontation, c’est-à-dire cherchent à mettre en opposition deux groupes d’individus. Lorsque nous souhaitons provoquer un changement social, toute action peut mener à une mise en confrontation. Le simple fait de commander une assiette végétarienne dans un restaurant lambda peut être perçu comme une agression susceptible de culpabiliser autrui (par le rappel d’une dissonance cognitive). Deux point sont donc importants pour comprendre la suite de ce texte :

  • Ce qui importe est le degré de confrontation auquel mène une action. Il ne s’agit pas d’imaginer des actions absolument non-confrontationnelles ou absolument confrontationnelles, mais un spectre d’actions qui seront plus ou moins confrontationnelles en fonction du contexte.
  • Toute action peut être confrontationnelle. L’important n’est pas la volonté derrière l’acte, mais ses conséquences concrètes dans un contexte donné, et en particulier la perception de cette action par le public.

La perception par le public est importante

N’importe quelle personne militant pour les animaux dans la rue a déjà entendu la question “êtes-vous végane ?”. Si les gens posent cette question, ce n’est pas forcément pour voir si nous sommes cohérents avec nos idées. C’est bien plus souvent pour savoir s’ils vont écouter ce que nous avons à dire ou plutôt nous appliquer un stéréotype négatif dévaluant d’emblée tout notre discours.

Alors que certaines associations ou militantes considèrent toute couverture médiatique comme une victoire en soi (et particulièrement si cette couverture parle du sort des animaux), ce travail de recherche publié dans le European Journal of Social Psychology nous indique que la couverture médiatique renforçant les stéréotypes au sujet des militantes est inefficace pour obtenir un support public. Dans une des procédures décrites dans cet article, un même texte pro-environnement a été proposé au public testé. Suivant les groupes, ce texte a été attribué à trois auteurs différents : un activiste engagé dans des actions directes, un auteur de plaidoyers pour l’environnement non engagé dans des actions directes et un auteur non militant. Il en résulte que le public testé a moins tendance à être convaincu par l’activiste que par les deux autres auteurs.

Crédibilité inhérente ou acquise

A l’exception (discutable) du mouvement écologiste, les luttes pouvant servir de modèle au mouvement pour les droits des animaux (mouvement des droits civiques, luttes queers, féminisme, etc.) ont toutes une chose en commun : elle bénéficient à des humains contemporains. La classe défavorisée parle pour elle-même et les militantes sont directement supportées par les leurs. Comme les militantes parlent de leur propre expérience, elles ont une crédibilité inhérente auprès de leurs interlocutrices. Au contraire, les militantes animalistes ne sont que des intermédiaires entre des individus ne s’étant pas constitués en classe (les animaux exploités) et le public. Leur crédibilité à représenter les intérêts des animaux n’est donc pas inhérente mais doit être acquise. Selon Richard Peters, la crédibilité de militantes dépend de 3 facteurs :

  • la perception de leur savoir et expertise ;
  • la perception de leur honnêteté et ouverture d’esprit ;
  • la perception de leur souci des autres.

Il ajoute que désamorcer les stéréotypes négatifs est un élément clé pour améliorer la perception de crédibilité et la confiance accordée. Il ne s’agit pas ici de nous conformer à toutes les exigences de nos adversaire politiques afin de ne pas les choquer, mais au moins de ne pas chercher volontairement à antagoniser le public pour provoquer le buzz, au dépend de notre crédibilité et donc de notre efficacité.

Notre objectif est de faire ce qui est le mieux pour les animaux. Il ne s’agit ni de faire ce dans quoi nous nous sentons le mieux, ni d’agir comme il nous semblerait juste en absence de tout contexte, ni de défendre notre droit à agir de la sorte.

La confrontation tend-elle à restreindre la militance ?

Nous pouvons parfois lire que la confrontation ou l’action directe permettent d’attirer vers le militantisme des personnes qui ne s’intéressaient pas à l’animalisme ou ne seraient pas elles-mêmes véganes. Ces tactiques peuvent en effet attirer (parmi de nombreux autres profils) des personnes en mal d’action, frustrées par la lenteur du changement social ou souhaitant se prouver qu’elles importent dans la société (les conséquences de ces actions étant souvent bien plus visibles que celles d’actions non-confrontationnelles ou visant un changement culturel). Au-delà de la conformation au virilisme promu dans la société, la confrontation permet aussi d’exprimer sa colère vis-à-vis de l’injustice faite aux animaux. La contagion sociale d’émotions comme la colère est par ailleurs plus efficace que pour d’autres émotions comme la dépression, et permet de fédérer davantage de militantes.

D’autres personnes, au contraire, seront inconfortables dans ces actions mais se pousseront à y participer parce qu’elles croient en leur efficacité.

Malheureusement, un autre effet tend à inverser la tendance : certains résultats en psychologie sociale montrent que la confrontation dissuade de participer aux mouvement sociaux en raison de la peur du rejet social que cela entraînerait, et de la volonté de ne pas perdre en pouvoir de conviction par identification à des stéréotypes négatifs.

Pour que la confrontation soit efficace, nous avons besoin de plus de militantes. Et pour avoir plus de personnes prêtes à s’engager dans la confrontation, nous avons besoin que la société comprenne mieux notre démarche. Nous avons besoin que l’environnement social des militantes voie leur action d’un bon œil et donc d’améliorer l’image sociale du militantisme.

L’importance d’atteindre une masse critique

La politologue spécialiste des mouvements de résistance civile Erica Chenoweth note que “les régimes politiques qui perdurent au fil des générations peuvent avoir un effet démobilisateur vis-à-vis des attentes des gens envers l’utilité de l’action non violente visant à changer l’emprise du régime sur le pouvoir”. En d’autres termes, plus un gouvernement dure longtemps, plus il est difficile de persuader les gens de rejoindre la contestation, même s’ils sont en accord avec les objectifs des contestataires. Compte tenu que même le régime politique le plus long de l’histoire parait ridiculement court en comparaison avec la domination exercée sur les animaux, mobiliser en masse pour l’animalisme est donc un vrai défi.

Malgré ces considérations, Chenoweth conclut qu’un mouvement social non-violent a toujours été victorieux si au moins 3,5% de la population était prête à mettre sa vie et sa liberté en jeu pour y parvenir. Au contraire, tout mouvement social s’engageant dans l’action directe et la confrontation avant d’atteindre ce seuil de 3,5% est beaucoup moins susceptible de réussir. Avoir établit ce seuil d’après les données historiques est extrêmement important et nous indique quand nous concentrer sur la croissance du mouvement et quand nous mobiliser dans une confrontation. Une mobilisation prématurée peut ralentir ou même stopper la croissance d’un mouvement social et le mener à l’échec.

Sidney Tarrow, lui aussi politologue spécialiste des mouvement sociaux s’accorde sur l’importance de faire croître un jeune mouvement social plutôt que de passer directement à l’action confrontationnelle. Ses observations du mouvements des droits civiques et des mouvements féministe et écologistes américains l’ont amené à constater une croissance maximale lors des phases d’institutionnalisations et de professionnalisations. Il écrit dans Power in Movement que “l’institutionnalisation et la radicalisation sont des tendances contraires mais symbiotiques se nourrissant l’une de l’autre”. “Le résultat positif de l’institutionnalisation a été le renforcement et la croissance rapide du secteur militant à partir des années 1960.” “En concentrant leur recherche sur les organisations écologistes américaines, Robert Brulle et ses associés ont constaté un triplement de leur nombre entre 1960 et 1970, et un autre doublement jusqu’à 1990. En utilisant les données de l’Encyclopedia of Associations sur les groupes féminins et les groupes constitués de minorités politique, Minkoff a constaté une multiplication par six de ces organisations du nombre de 98 en 1955 vers 688 trente ans plus tard. La plus grande croissance a été constatée pour les groupes orientés vers le plaidoyer ou le plaidoyer et le service. Une plus faible croissance a été constatée pour les groupes spécialisés dans le culturel et le service. Enfin, aucune croissance n’a été constatée pour les groupes orientés vers la protestation sociale.”

Chenoweth note que les mouvement étant devenus radicaux trop tôt et ayant échoué sont assez rares. La plupart du temps, un mouvement grandit, échoue à apporter un changement par les institutions, puis les membres de la classe opprimée se tournent vers l’action direct en mettant leur vie et leur liberté en jeu, par désespoir. Le mouvement animaliste n’en est pas encore à agir par désespoir et doit continuer sa phase de croissance. Tant que nous n’avons pas atteint une masse critique, le choix stratégique de la confrontation retardera notre croissance et donc notre succès.

L’importance du support du public

Le sociologue Jon Agnone a analysé les réussites du mouvement écologiste pour comprendre comment la protestation sociale et l’opinion publique étaient liées aux changements de législation environnementale. Sa conclusion est que “l’opinion publique influence plus fortement et plus efficacement les changements dans les politiques publiques lorsqu’elle est accompagnée de protestations sociales, qui accroissent la visibilité de la demande du public auprès du législateur”. “Les spécialistes des mouvements sociaux doivent prendre en compte l’opinion publique lors de l’étude des mouvements sociaux et de l’évaluation du rôle de la protestation sociales sur les changements politiques. Le modèle d’amplification de l’impact politique suggère que les travaux négligeant les liens entre l’opinion publique et les actions des mouvements sociaux ne prennent pas pleinement en compte les déterminants des politiques publiques.” Le sociologue Marco Giugni, auteur de Social Protest & Policy Change, a travaillé sur ce même phénomène pendant plus d’une dizaine d’années pour atteindre les mêmes conclusions : “les mouvements sociaux parviennent à impacter la politique uniquement lorsqu’ils sont assisté par d’autres facteurs”.

Ce que nous indiquent ces recherches c’est qu’effectivement, la confrontation fonctionne, mais uniquement à partir d’un certain seuil de support public.

Les sociologues Salvador Barberà et Matthew O. Jackson détaillent le rôle de mobilisations de masse en tant qu’outil servant à démontrer à de potentiels soutiens que le mouvement social est supporté par assez de personnes pour être viable et mener au succès par la confrontation. En contraste, les sondages ou déclarations via les médias sociaux ne montrent pas aussi bien la détermination des acteurs du changement social. Le fait de simplement se déclarer en faveur d’un changement social n’indique pas la volonté à agir si nécessaire. Les chercheurs concluent en outre que de faibles participations aux manifestations ou des démonstration de force peu crédibles peuvent même décourager la population et rendre durablement le changement inaccessible.

L’importance de l’opposition dans l’opinion publique

Lors d’événements décisifs tels que la marche sur Washington dans le contexte de la lutte pour les droits civiques, seulement 0,1% de la population a participé, mais environ 40% de la population supportait le mouvement. De même, les émeutes de Stonewall ont réussi à provoquer un débat national sur les droits des homosexuels car elles ont personnifié une problématique envers laquelle 36% de la population n’avait pas d’opinion tranchée. Nous sommes dans une situation radicalement différente avec 99% de la population actuellement investie dans l’exploitation animale à travers leur consommation quotidienne.

Nous faisons face à une autre difficulté que n’ont pas forcément rencontrée les mouvements pour les droits humains : non seulement nous devons changer l’opinion du public, mais nous avons aussi besoin de changer les habitudes individuelles et les comportements avant d’espérer un changement institutionnel substantiel. Lors d’autres mouvements sociaux, la classe dominante a seulement dû abandonner une croyance ou accepter une nouvelle loi pour que la classe dominée puisse atteindre son objectif :

  • Les personnes blanches n’ont pas eu à changer leur comportement personnel afin d’autoriser la déségrégation, elles ont seulement accepté un changement législatif (et ont éventuellement pu maintenir des opinions racistes et des comportements discriminatoires).
  • Les personnes hétéro cis-genre n’ont pas eu à adopter de nouvelles habitudes pour mettre fin à la discrimination légale des homosexuelles, elles ont juste eu à accepter la fin de la pénalisation et l’extension de certains droits aux homosexuelles (qui n’ont pas mis fin à l’hétéronormativité de la société).
  • Les hommes n’ont pas changé de comportement pour que la société accorde le droit de vote aux femmes (et n’ont pas eu à abandonner leurs comportements sexistes).

Imaginons maintenant qu’une élite animaliste puisse accéder au pouvoir et mettre en place une prohibition de l’exploitation animale et de la vente et consommation de ses produits. Les exemples historiques de tentatives de prohibitions non supportées par le public ont démontré leurs échecs, que ce soit pour l’alcool de 1920 à 1933 aux Etats-Unis ou pour le cannabis actuellement. La consommation de viande est bien plus ancrée dans les comportements que les consommations de ces drogues. De plus, alors que ces drogues sont reconnues comme nocives à la santé humaine (ou du moins non nécessaires), la consommation modérée de produits animaux est considérée par la majorité de la population (dont la plupart des nutritionnistes) comme permettant une santé optimale. La prohibition de l’exploitation animale sans le support du public serait non seulement inapplicable (les gens censés faire appliquer la loi étant probablement eux-mêmes contre la prohibition), mais provoquerait un rejet populaire inédit. Alors que nous bénéficions actuellement d’un faible enracinement de la militance réactionnaire pro-exploitation (en dehors des secteurs pratiquant l’exploitation animale), toute action légale opposée à l’opinion publique créerait une armée de militants contre les droits des animaux.

Quand utiliser la confrontation et dans quel but ?

La confrontation et l’action directe sont des outils très puissants lorsque le contexte s’y prête. Avant d’entrer en confrontation nous devrions cependant vérifier si le contexte s’y prête, par exemple à travers les réactions publiques aux précédentes actions similaires :

  • Si nous visons une confrontation par la force, avons nous des chances de l’emporter ?
  • Notre lutte est-elle tellement ignorée que toute visibilité, même sous un mauvais jour, lui serait bénéfique ?
  • Avons-nous un soutien public assez important pour espérer susciter l’intérêt des législateurs ?
  • Bénéficions-nous d’une base suffisamment large de militants pour que la mobilisation soit une démonstration de force et non de faiblesse ?
  • La confrontation va-t-elle créer un espace médiatique propice à la diffusion de nos idées plutôt que discréditer notre mouvement ?
  • La confrontation va-t-elle obtenir le soutien du public et valoriser l’attitude militante plutôt que renforcer les stéréotypes péjoratifs et décourager la militance ?
  • L’hostilité de l’opinion publique face à notre mouvement est-elle assez faible pour ne pas créer (trop) de militants réactionnaires à notre mouvement ?

Plus les réponses aux questions ci-dessus sont positives, plus un degré élevé de confrontation nous sera favorable. Au contraire, plus les réponses sont négatives, plus il nous faut faire attention à maintenir un faible niveau de confrontation à travers nos actions. Il est très probable que nous nous trouvions dans un contexte défavorable à la confrontation vis-à-vis de l’abolition de l’exploitation animale. Cependant ce n’est pas le cas pour toutes les revendications que nous pourrions formuler. En effet, nous bénéficions actuellement en France d’une opinion publique relativement favorable à de nombreuses abolitions sectorielles ou réformes (dont l’efficacité est discutée dans cet article) :

Notons que si les abolitions sectorielles de certaines pratiques de chasse et des corridas auraient un effet symbolique important mais un impact relativement faible sur le nombre de victimes, l’abolition de l’élevage intensif serait en revanche une avancée majeure (et probablement décisive à moyen terme) pour notre mouvement et pour les animaux. Il est fort probable que rechercher un certain degré de confrontation dans ces domaines soit à notre avantage.

La confrontation naît souvent d’une action à forte portée symbolique, ayant en elle-même sa propre valeur (dégradation des outils de l’exploitation, sauvetage d’une victime, revendication ou pression psychologique face aux exploiteurs…). Dans un contexte favorable, la confrontation peut aussi entraîner une série de conséquences positives :

  • Une plus grande visibilité médiatique, probablement sous un jour favorable (note : il est peu probable qu’elle prenne dans les médias la place d’autres communications militantes, comme on le lit parfois : il ne s’agit pas d’un gâteau à partager entre animalistes).
  • Une contagion de l’indignation morale et une remise en question par le public de la pratique dénoncée (corrida, exploitation industrielle, etc.).
  • Le témoignage par l’exemple qu’il y a lieu de s’opposer à cette pratique et une inspiration pour de futures militantes.
  • Un renforcement de la polarisation du public, à l’avantage probable du camp majoritaire, engendrant une plus grande mobilisation de l’opinion publique pour la cause animaliste.
  • La reconnaissance du public envers les militantes pour avoir agit contre ce que la majorité condamne, et par conséquent la valorisation et la facilitation des prochains passages à l’acte.
  • Une marginalisation de l’opinion minoritaire (selon des modalités plus détaillées dans la section suivante)
  • La provocation d’actes confrontationnels par le camp opposé, dans un contexte lui étant défavorable.

En revanche, plus nous employons la confrontation dans un contexte défavorable, plus nous risquons de provoquer des effets indésirables et d’augmenter leur degré de gravité. Il est important de rappeler que les animaux ne sont pas en situation de se défendre eux-même et que le mouvement animaliste soutenu par les humains est leur seule chance. Pénaliser le mouvement c’est retarder des réformes qui auraient pu diminuer le nombre de victimes ou les sévices leur étant infligées. A plus long terme, c’est aussi retarder l’abolition de l’exploitation animale.

Les actions confrontationnelles, par leur impact médiatique, peuvent avoir des conséquences très importantes sur le mouvement. Chacune d’entre nous a la responsabilité d’entreprendre ou de ne pas entreprendre des actions confrontationnelles en fonction du contexte. Ne pas agir dans un contexte opportun et ne pas faire bénéficier le mouvement de ces actions est aussi dramatique que d’agir dans un contexte défavorable et faire porter le fardeau de l’échec sur les victimes du spécisme.

Les conséquences négatives de la confrontation

Si nous n’accusons pas toutes les personnes qui pourraient agir positivement mais ne font rien, il n’y a pas plus de raisons d’accuser les personnes qui agissent et n’obtiennent pas les résultats escomptés. En revanche, il est important de prévenir au maximum les actions pouvant nuire aux animaux en donnant une bonne visibilité de la diversité d’actions qui s’offrent à nous et de leurs possibles conséquences en fonction du contexte, afin de prévenir les potentielles erreurs.

La liste suivante propose sommairement quelques conséquences négatives possibles de la confrontation dans un contexte défavorable. Il est évidemment impossible de connaître avec certitude les conséquences sociales d’un acte. En revanche, plus un contexte est négatif, plus les conséquences négatives seront probables et intenses. Notez qu’un cercle vicieux peut facilement apparaître : de nombreuses conséquences négatives (notées *) entraînent une aggravation du contexte, qui renforcera les conséquences négatives de actions confrontationnelles suivantes.

  • Hostilité de l’opinion publique*
    La confrontation renforce la polarisation autour de la question animale. Les personnes opposées aux revendications animalistes n’en seront que plus hostiles. Le degré perçu de la violence et de son illégitimité (hors auto-défense, violence institutionnelle ou encore habituelle…) tendent à renforcer l’hostilité contre celles qui l’emploient (quelle que soit l’opinion sur la cause défendue). A noter que l’opinion publique est très dépendante de l’avis des médias et des personnes pouvant y exprimer leurs opinions.
  • Perte de crédibilité
    Insensibilisation du public aux arguments et incitations animalistes. Démonstration d’impuissance démobilisant de potentielles militantes.
  • Habituation du public
    Au fil de la répétition des actes confrontationnels, le public est de moins en moins intéressé et les médias relaient de moins en moins l’information. Si la confrontation est volontaire, à dessein d’obtenir une plus grande couverture médiatique, les militantes auront alors tendance à surenchérir dans la confrontation.
  • Incompréhension des objectifs des actes militants*
    On est rarement convaincu par quelqu’un qu’on prend pour son adversaire. Plus l’hostilité publique est grande, moins le public a envie de faire confiance aux animalistes et d’écouter et comprendre leurs arguments.
  • Disposition négative du public*
    Sensibilité accrue menant à voir les actes militants comme plus confrontationnels qu’ils ne le sont réellement.
  • Attrait du public pour ce qui le conforte dans le rejet de l’animalisme*
    Le biais de confirmation entraîne le public à solliciter la parution de contenus les confortant dans leurs opinions. Les médias répondent à la demande en produisant davantage de contenus en défaveur des animalistes (pouvant même tourner à la promotion des cibles de la confrontation). Les bulles de filtres sur internet et les réseaux sociaux privilégient la visibilité des contenus en défaveur des animalistes.
  • Pression du public sur les institutions (politiques ou économiques), les décideuses et les leaders d’opinion*
    Les institutions et personnes souhaitant garder une bonne image publique ont tendance à traiter plus défavorablement les animalistes et leur cause. Il devient plus difficile de trouver des alliées parmi ces cibles et les décisions politiques ou économiques favorables aux animaux et aux animalistes se font plus rares. Les alternatives végétales facilitant le véganisme portent atteinte aux images des marques et sont moins développées. Les militantes réactionnaires à l’animalisme (syndicats pro-exploitation, lobbys, droite dure…) s’organisent pour influencer plus fortement institutions et personnes de pouvoir. Il s’ensuit davantage de prises de paroles et de décisions à l’encontre des intérêts des animaux et des animalistes, renforçant l’hostilité publique.
  • Mesures institutionnelles à l’encontre du mouvement animaliste*
    La pression du public entraîne des prises de décisions conforme à l’intérêt général (humain) ou aux intérêts économiques : interdiction des manifestations, interdiction des rassemblements ou actions sur la voie publique, interdiction des associations, sanctions pénales pour cause de militantisme (licenciements, amendes, gardes à vues abusives, emprisonnements), pressions ou arrêt des recherches universitaires favorisant l’animalisme (philosophie, sociologie, éthologie…), contrôle des médias (publics ou privés) favorisant les positions anti-animalistes.
  • Actes à l’encontre des militantes
    Plus l’hostilité publique est grande, moins il y a d’indignation morale face au dénigrement des actes et arguments des militantes, ou face à l’agression envers les militantes. Ces actes peuvent être de plus en plus intenses et fréquents suivant le degré d’hostilité : dénigrements, dégradations des commerces ou locaux associatifs, menaces verbales ou physiques, discriminations, violences physiques pouvant aller jusqu’au meurtre.
  • Actes non assumés renforçant l’apparence d’un militantisme honteux*
    Difficultés à agir publiquement et à assumer publiquement sa militance en raison du rejet social rencontré et/ou des actes à l’encontre des militantes.
  • Diminution du nombre de nouvelles sympathisantes et militantes
    Les actes militants sont moins valorisés socialement en tant qu’actes altruistes, mais plus facilement vus comme la tentative d’imposer ses choix à autrui. Militer ou simplement faire part de sa sympathie pour l’animalisme tend à isoler socialement. L’hostilité publique tend à diminuer le nombre de sympathisantes. La pression sociale tend à diminuer le nombre de passage à l’acte militants.

Adapter nos actions à chaque contexte

Quel que soit le contexte (favorable ou non à la confrontation), nous ne sommes heureusement pas limitées à employer des tactiques confrontationnelles. Nous n’avons pas à nous limiter à une seule approche, mais nous devrions nous assurer que ce que nous faisons ne ruine pas les efforts d’autres militantes plus qu’il ne fait avancer notre lutte.

Tarrow écrit dans Power in Movement : “Il n’y a pas qu’un seul modèle d’organisation de mouvement et qu’une seule trajectoire d’organisation. En fait, l’hétérogénéité et l’interdépendance sont de plus grands atouts pour l’action collective que l’homogénéité et la discipline, au moins parce qu’elles favorisent l’innovation et la compétition entre les organisations militantes”.

En conclusion, pour Alex Felsinger, “les militantes efficaces pour les droits des animaux doivent garder leur ouverture d’esprit. Elles sont capables de dompter leur frustration et calmer leurs égos, dérivant cette énergie vers les progrès efficaces. Elles travaillent à normaliser  notre cause plutôt qu’à la radicaliser prématurément. Elles observent que le changement social est cyclique et prend du temps, spécialement lorsqu’un changement de comportement est impliqué. Et plus important, elles admettent que la stratégie n’est jamais un pack prêt à l’emploi pouvant s’appliquer à n’importe quel contexte, que nous pourrions emprunter aux autres mouvements sociaux.”

Illustration : Clara Cuadrado

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