Féminismes et polyamours : Conclusion, perspectives et références

Les relations multiples entre féminismes et polyamours (Partie 5/5)

Introduction
Partie I. Les polyamoureux-ses : des féministes ?
Partie II. Libération et/ou objectification sexuelle ?
Partie III. Les rapports de pouvoir à l’intérieur des relations polyamoureuses hétérosexuelles
Partie IV. Les normes relationnelles
Conclusion et perspectives

Cette conclusion expose le point de vue de l’autrice principale de cette série d’article. Les articles parus sur ce blog se sont largement inspirés d’articles déjà publiés, dont vous pouvez découvrir un sélection dans la section « références » ci-dessous. N’hésitez pas à ajouter vos suggestions de lectures dans les commentaires.

Pour un matérialisme historique et intersectionnel

Il nous a semblé important au long de cette série d’articles de pointer les risques que peuvent comporter toute forme d’essentialisation du sexisme ou du polyamour.

Un matérialisme vraiment historique conçoit les rapports de pouvoir, non pas comme des essences existant indépendamment de configurations sociales et historiques particulières, mais comme :

  • des rapports mutuellement co-dépendants. Le sexisme n’existe et ne peut être analysé que dans les rapports particuliers qu’il entretient, dans une configuration socio-historique donnée, avec les autres rapports de pouvoir à l’oeuvre. C’est ce que vise à désigner le concept d’intersectionnalité.
    (Notons d’ailleurs que cet article pèche par l’absence quasi-totale d’analyses intersectionnelles, reproduisant la fâcheuse tendance à faire de l’intersectionnalité un mot d’ordre rarement appliqué…)
  • des rapports évolutifs. Les rapports de pouvoir se reproduisent de manière constamment transformée. Certes, le sexisme s’est historiquement incarné dans une norme d’exclusivité unilatérale, dans l’appropriation domestique, dans l’objectification sexuelle, etc.. Mais cela ne veut pas dire que tous les rapports de pouvoir entre hommes et femmes ont toujours pris et prendront toujours ces formes-là. A l’inverse, cela ne veut pas dire que l’abolition de ces pratiques sexistes marquerait la fin du sexisme.

Dans cette perspective, chercher à analyser les effets des rapports de pouvoir entre les différents groupes sociaux, ne peut consister à identifier des pratiques sociales qui seraient “essentiellement” et définitivement sexistes (ex : la prostitution, la pornographie, le port du voile, etc.), et d’autres qui seraient “essentiellement” émancipatrices (les relations sexuelles-amoureuses non-exclusives, les relations non-hétérosexuelles, etc.).

Une telle identification est nécessairement normative : elle énonce ce que serait un comportement révolutionnaire ou progressiste ; elle identifie d’autres comportements à l’exercice de la domination (du côté des personnes dominantes) et/ou à l’expression d’une aliénation (du côté des dominées).

Application au cas des relations sexuelles-amoureuses hétérosexuelles, exclusives ou non-exclusives

Autrement dit, les relations sexuelles/amoureuses non-exclusives en général, et le polyamour en particulier, ne peuvent être considérés en soi, ni comme un outil d’émancipation, ni comme une aggravation de la domination. Exclusivité et non-exclusivité sexuelles et/ou amoureuses constituent des pratiques sociales s’inscrivant dans des sociétés sexistes. Elles sont à ce titre traversées par des rapports de pouvoir (notamment dans le cas des relations hétérosexuelles). Ces rapports de pouvoir s’exerceront de toute façon de différentes manières dans un cadre exclusif et dans un cadre non-exclusif.

Certes, l’exclusivité sexuelle et amoureuse fait partie d’un modèle traditionnel, fortement hiérarchisé et stéréotypé, de la relation amoureuse ; un modèle de surcroît hétérosexiste, et qui opère une distinction et une hiérarchie nettes entre les formes relationnelles.

Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne peut pas être réinventé de manière émancipatrice pour les deux partenaires. Nombre des avantages du polyamour pourraient en effet tout à fait se retrouver au sein d’une relation exclusive hétérosexuelle cherchant à lutter de manière partagée et soutenue contre la reproduction des rapports de pouvoir en son sein. Nous connaissons des relations hétérosexuelles exclusives où les deux partenaires s’emploient à distribuer équitablement les charges mentale et affective, et qui vivent leur relation non comme une contrainte ou une mise sous tutelle, mais comme une source d’épanouissement mutuel. Tout comme nous connaissons des relations hétérosexuelles exclusives qui reproduisent un modèle fortement hiérarchisé et stéréotypé.

Le cas des relations non-exclusives en général, et du polyamour en particulier, est analogue. L’exclusivité constitue certes l’un des aspects sous lesquels le sexisme a pu historiquement s’exercer, mais son refus n’est pas synonyme d’émancipation automatique. Sous couvert d’un progressisme trop confiant voire servant d’excuse, il peut donner lieu à des formes relationnelles qui reproduisent d’autres aspects historiques centraux du sexisme (l’objectification sexuelle, la distribution inégale du travail affectif, etc.).
La lutte partagée et soutenue contre la reproduction des rapports de pouvoir au sein des relations, est donc aussi nécessaire dans le cas des relations non-exclusives que dans celui des relations exclusives.

On peut considérer que le terme de “polyamour”, par distinction avec la simple non-exclusivité sexuelle/amoureuse, inclut au moins dans l’une de ses définitions possibles un tel engagement éthico-politique. C’est ce qui peut être désigné comme un “polyamour politique”, par distinction avec un polyamour-orientation (qui désignerait le simple fait de désirer et/ou pratiquer la non-exclusivité sexuelle-amoureuse). Qu’est-ce qu’un tel polyamour politique pourrait impliquer, concrètement ? Par exemple : une réflexion en commun sur la répartition du travail de communication des attentes et émotions, sur celle du travail domestique et de la charge mentale, sur la construction sexiste et hétérosexiste des genres et des sexualités… Ces pistes présentent à la fois des analogies et des spécificités par rapport aux réflexions concernant les relations exclusives déjà disponibles au sein du féminisme.

Tout ceci implique néanmoins que l’exclusivité sexuelle-romantique cesse d’être, comme c’est encore le cas dans la plupart des milieux sociaux, la seule option envisageable. Que chaque personne puisse faire un choix informé et enthousiaste en faveur de l’exclusivité ou de la non-exclusivité (en fonction de son histoire, de ses désirs et attentes, en même temps que de ceux de sa ou ses partenaires potentielles).

 

Références

Anarchamory, « Le polyamour est-il une arnaque des hommes pour exploiter sexuellement les femmes ? »
https://anarchamory.wordpress.com/2016/11/03/le-polyamour-est-il-une-arnaque-des-hommes-pour-exploiter-sexuellement-les-femmes/

Angi Becker Stevens, « Should feminists be critical of compulsory monogamy ? » (traduction par audren sur polyamour.info)
http://polyamour.info/-dA-/Le-feminisme-devrait-il-denoncer-la-norme-monogame/

Audren, « Pourquoi couple libre et sexe riment avec féminisme ? »
https://lesfessesdelacremiere.wordpress.com/2013/04/30/pourquoi-couple-libre-et-sexe-riment-avec-feminisme/

Cami Aurel Ondee, « Le polyamour est-il un outil d’émancipation féministe ? »
https://ondeejeune.wordpress.com/2014/08/19/le-polyamour-est-il-un-outil-demancipation-feministe-2/

Coral Herrera Gomez, « L’honnêteté masculine et l’amour romantique » (traduction par Non-monogamie féministe)
https://nonmonogamie.wordpress.com/2017/12/27/lhonnetete-masculine-et-lamour-romantique-coral-herrera-gomez/

Diana Marina Neri Arriaga, « Un homme polyamoureux avec conviction et éthique : ce serait comment ? »
https://nonmonogamie.wordpress.com/2017/06/05/un-homme-polyamoureux-avec-conviction-et-ethique-ce-serait-comment-diana-marina-neri-arriaga/

EliC, “Polyamour et polyfake” (traduction d’un article de Brigitte Vasallo)
http://polyamour.info/-fg-/Polyamour-et-polyfake/

Forum féministe, Topic “Relations affectives non-exclusives (polyamour, etc.)
http://feminisme.fr-bb.com/t137-relations-affectives-non-exclusives-polyamour-etc

Les Questions Composent, “Contre le couple” ; “La possession du corps de l’autre”
http://lesquestionscomposent.fr/contre-le-couple/
http://lesquestionscomposent.fr/lapossessionducorpsdelautre/

Solveig Halloin, « Quand il aime il nous compte : le ‘polyamour’, arnaque en vogue »
https://www.facebook.com/notes/solveig-halloin/quand-il-aime-il-nous-compte-le-polyamour-arnaque-en-vogue-/1328366967202172/

Solène Hasse “Tu sais, bébé, mon coeur n’est pas sur liste d’attente”
http://unbruitdegrelot.herbesfolles.org/?cat=14

7 commentaires sur “Féminismes et polyamours : Conclusion, perspectives et références

  1. Super intéressant ! De ma petite expérience perso, j’ai conclu aussi qu’il fallait faire attention à ce qu’implique émotionnellement le choix du polyamour politique lorsqu’il est fait un peu rapidement : on peut adhérer entièrement à un choix sur le principe, mais être imprégné malgré soi d’un tas de normes (sans compter les vécus des uns et des autres, les traumatismes etc) qui le rendent extrêmement éprouvant. On court alors le risque de vouloir préserver ce choix coûte que coûte, alors qu’il ne présume pas forcément de notre engagement, de notre « déconstruction », etc

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  2. Bonsoir,
    J’ai trouvé bien intéressant vos écrits et j’aimerais si possible entrer en communication privée avec la.e ou les auteurs.trices de cet ouvrage.
    J’aurais une proposition d’atelier en collaboration avec le comité féministe de l’Uqam ainsi que l’obnl Polyamour Montréal.
    Merci

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    1. Je vous envoie un mail. Une des deux autrices principales ne souhaite pas être mise en avant (en plus d’être très occupée). L’autre est aussi l’auteur principal de ce blog.

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