Qui peut défendre la viande de culture ?

Les nouvelles technologies alimentaires pourraient non seulement alléger le nombre de victimes entrainées par l’alimentation, mais aussi diminuer la difficulté d’adoption d’opinions abolitionnistes. Le potentiel de ces nouveaux aliments est si grand qu’il est probable que nous ayons un meilleur impact en faveur des animaux par la facilitation de l’adoption de ces produits, plutôt que par la promotion d’un changement culturel et législatif.

Le rôle du mouvement animaliste

Mais sommes-nous vraiment en bonne position pour parler en faveur de la viande de culture ou autres steaks saignants à base de pois ? Je pense que le mouvement animaliste a un rôle important à jouer auprès des institutions pour défendre ces technologies contre des offensives visant, par exemple, à contrôler les désignations (ne dites plus « veggie burger » mais « disque végétarien »).

Il se peut aussi que, lors de militantisme de rue ou auprès de connaissances, faire déguster ces produits puisse nous aider à mettre les personnes que nous souhaitons convaincre dans un état d’esprit positif en leur montrant qu’elles n’auraient pas tant à perdre à abandonner une nourriture carnée.

Cependant, le mouvement végane jouit d’une très mauvaise réputation en France.  Il est difficile d’être bien accueillies lorsqu’on essaye de faire adopter un changement de comportement, condamnant moralement ce que la grande majorité jugeait acceptable jusqu’ici. Comme si cette difficulté structurelle ne suffisait pas, il est très probable que les casseuses de vitrines et autres supportrices de l’action directe sabotent durablement ce dont nous ayons le plus besoin pour faire avancer la cause animale : la crédibilité auprès des décideurs et du grand public, ainsi qu’une bonne image donnant envie d’adhérer à notre discours.

Nous pouvons donc craindre qu’associer un produit à notre mouvement ne lui donne une mauvaise image, et que tout soutien public du mouvement animaliste envers ces technologies alimentaires crée de la défiance. Pire, nous devons absolument éviter que ces aliments soient considérés comme des produits destinés aux véganes (ou même simplement véganes). Nombreuses sont les personnes qui se détourneraient de « frites véganes », simplement parce qu’elles considèrent que ce produit n’est pas pour elles. Il serait catastrophique que ces nouvelles technologies alimentaires soient perçues comme destinées à un pourcentage infime de la population, qui plus est, parmi les personnes qui ne sacrifieraient de toute façon pas d’animaux pour leur alimentation.

Il est donc important que ces aliments ne soient pas promus comme étant véganes. Il peut même être préférable que ces produits ne soient réellement pas véganes, soit en contenant une portion infime de produits animaux, soit en étant issus de recherches utilisant du sérum fœtal bovin (la viande de culture), soit en ayant des ingrédients testés sur les animaux (comme pour les Impossible Burgers). Je pense aussi que les grandes associations devraient s’abstenir de soutenir la viande de culture auprès du grand public (le site de Gaia est à ce titre un exemple d’initiative probablement contre-productive). Venant des véganes ou végétariennes, il se peut même que le meilleur pour cette industrie naissante soit qu’elles se prononcent publiquement contre ces technologies, en pointant par exemple le fait que cela reste de la viande, conservant la symbolique de la domination par la consommation du corps de l’autre.

Le rôle du mouvement écologiste

La solution viendra-t-elle du mouvement écologiste ? Bien que l’exploitation animale soit la première cause de destruction de la biodiversité, et une cause majeure du dérèglement climatique, pendant très longtemps, le mouvement écologiste a considéré comme tabou l’idée de remettre en question la consommation de produits animaux. Si Greenpeace a retiré ses œillères en 2017 et ose enfin mentionner la nécessaire réduction de l’élevage, le WWF baigne toujours dans son dogmatisme carniste, en ne mentionnant même pas le végétarisme comme mode de consommation alimentaire durable.

Si les vieilles organisations restent très carnistes, les mouvements plus jeunes semblent un peu moins opposés à mettre la zoophagie en question, bien que des mouvements comme Extinction Rebellion ou Alternatiba n’osent toujours pas s’afficher en faveur des végétarismes.

En plus de la crainte d’être associées aux végétarismes, ces organisations et leurs membres adhèrent foncièrement au naturalisme. Au lieu de saluer les steaks végétaux et la viande de culture comme des innovations positives pour l’environnement, il est possible que les écologiste les dénoncent comme étant non naturels, issus de produits de l’agriculture intensive ou autre.

Dans ces conditions, il serait très optimiste d’attendre un soutien de ces organisations aux nouvelles technologies alimentaires. Il serait déjà bien qu’elles n’embrayent pas sur les discours hallucinés de Paul Ariès, en vouant aux gémonies les scientifiques se prenant pour Dieu créant de la viande synthétique artificielle in vitro.

Le rôle de l’altruisme efficace et de l’industrie

Le rejet des OGM, au nom de la défense de la Nature et par crainte de nouvelles technologies alimentaires a montré qu’il était primordial de communiquer auprès l’opinion publique pour éviter un rejet massif. De ce point de vue, force est de constater que la défense de ces technologies alimentaires a déjà un train de retard. Plus le temps passe, plus le vocabulaire défavorable employé dans les médias va s’ancrer dans les pratiques (fausse viande, viande de synthèse, viande vegan…), et plus les craintes de la population vis-à-vis de la naturalité ou des risques resteront sans réponse, plus l’opposition carniste, associative, politique et économique à ces technologie se structurera.

Il me semble que les mieux placées actuellement pour défendre ces technologies, que ce soit auprès des élues, par des tribunes dans les journaux ou sur les plateaux, soient les membres de la mouvance Altruisme efficace, et les industriels eux-mêmes.

L’altruisme Efficace, encore inconnu du grand public, est globalement favorable aux végétarismes. Ses défenseures pourraient être d’excellentes avocates en faveur d’un écologisme rationnel et de la compassion envers les animaux, sans charrier la mauvaise image du mouvement végane.

Enfin, il existe en France une petite start-up appelée Gourmey ayant pour but de développer du foie-gras de culture, avant de s’attaquer à d’autres produits. Cette entreprise a de nombreux atouts pour faciliter l’acceptation du grand public : elle est locale (ce qui rassurera les chauvins), elle n’est pas financée par les fonds de multinationales (ce qui rassurera les complotistes), elle est encore jeune et petite (ce qui la rendra plus sympathique aux anticapitalistes). Avec un tel potentiel de story-telling de « la petite entreprise française innovante défiant la Silicon Valley », il est bien triste de constater que celle-ci tarde à passer à l’action pour contrer la spirale de l’inquiétude s’installant en France, et qui sera bien plus difficile à surmonter d’ici le lancement des premiers produits sur le marché.

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