L’utilisation des animaux n’est pas nécessairement de l’exploitation

Extrait d’un article paru sur L’Amorce.

La fin de l’exploitation animale signera-t-elle forcément la fin du travail des paysans auprès des animaux, ou juste sa transformation ? Un humain est un animal et, pourtant, le véganisme ne refuse pas tout produit issu du travail humain. Le terme « exploiter » désigne communément l’« action de tirer de quelque chose ou de quelqu’un un profit illicite ou excessif ». Ainsi, l’exploitation rejetée par l’ensemble des véganes est une exploitation contrainte, où l’individu exploité est privé de sa liberté, utilisé comme un objet et/ou tué pour servir les exploiteurs.

Sue Donaldson et Will Kymlicka ont imaginé dans Zoopolis les critères permettant aux animaux de prendre part à la coopération sociale en tant que fournisseurs de biens ou de services, jouissant comme les humains d’une certaine liberté, de droits mais aussi de devoirs. Dans son commentaire du texte, Estiva Reus propose quelques pistes complémentaires à explorer. Je vais ici un peu plus loin en estimant que rares sont les travaux entrepris par les humains que nous exercerions sans conditionnement préalable ou récompense à la clé. Un conditionnement (ou apprentissage) et l’obtention de récompenses peuvent légitimement motiver certains animaux à participer à l’effort collectif de production d’une société mixte, si quelques règles sont respectées. Ces règles cherchent à définir une exploitation respectant les mêmes standards éthiques pour les humains que pour les autres animaux :

  • tirer profit de ce que les animaux font sans incitation, via leur comportement quotidien ;
  • tenir compte des inclinations de chaque individu (ne pas imposer des tâches clairement désagréables) ;
  • mettre en place les conditions leur permettant d’exprimer un refus (par exemple en se retirant de la société, mais donc aussi de ses services) ;
  • inciter les animaux à utiliser leurs talents particuliers par l’obtention de récompenses, sans recourir à des formes inacceptables de contrainte (comme provoquer à dessein une situation de manque) ;
  • permettre aux individus de disposer du temps nécessaire pour se livrer aux autres activités et relations qui leur importent ;
  • en dehors des utilisations non commerciales, encadrer la production et la vente de services et produits (laine, œufs) pour éviter toute pente glissante, par exemple en rendant impossible pour celles et ceux qui encadrent le travail de tirer davantage de profit en fonction de la production (c’est à dire par l’instauration d’un fonctionnariat).
  • ne tuer les animaux que dans leur propre intérêt, lorsqu’ils n’ont plus aucune chance de guérison et que leurs souffrances les ont amenés à renoncer à s’alimenter et à se mouvoir.

Nous pouvons ainsi penser à plusieurs exemples de coopération entre des individus humains et d’autres animaux sans exploitation inacceptable. Nous utilisons le « travail » réalisé sans incitation par des mouches, des papillons, des vers de terre et autres pour notre agriculture. Des herbivores peuvent être conduits là où nous avons besoin de maintenir une herbe courte et/ou de maintenir des prairies. Des chèvres peuvent débroussailler un terrain pour réduire les risques d’incendies. Des chevaux ou des vaches peuvent trouver intérêt à travailler en compagnie d’humains, en échange d’une meilleure alimentation, d’interactions sociales agréables, de la protection et des soins qui leur sont prodigués. Il leur est par ailleurs indifférent que leurs excréments puissent être ramassés ou que leur corps soit utilisé après euthanasie. Une société où l’exploitation animale se ferait avec les mêmes standards éthiques que l’exploitation humaine pourrait en fait demander davantage de travail auprès des animaux qu’une société pratiquant exclusivement l’élevage industriel, société vers laquelle nous nous dirigeons si la tendance actuelle se poursuit (du moins jusqu’à ce que les limites matérielles planétaires y mettent fin).

Il est clair que l’envoi des animaux à l’abattoir n’est pas le moment le plus agréable de la vie d’un éleveur paysan et ne manquera pas, en soi, aux futurs paysans coopérant avec les animaux. Si la société souhaite conserver certains avantages de l’exploitation animale sans faire subir les contreparties désagréables aux animaux, la redirection des subventions agricoles vers un élevage paysan réellement respectueux des animaux pourrait faire vivre un grand nombre de travailleurs.

Un changement culturel tel que le demandent les animalistes abolitionnistes serait d’une ampleur inouïe dans l’histoire, et demandera un long changement des mentalité, aidé par le renouvellement des générations. Nous parlons donc là d’une société qui n’adviendra pas dans les 50 ans à venir, mais dans un siècle ou deux. Les travailleurs actuels n’auront pas à se reconvertir, mais il peut être intéressant que les jeunes en formation puissent avoir en tête la possibilité de cet autre modèle de société et se détournent progressivement des filières industrielles. La transition pourrait se faire de manière très progressive (comme en Wallonie), sans fermer d’exploitations en activité, par exemple par l’interdiction de nouvelles installations.

6 commentaires sur “L’utilisation des animaux n’est pas nécessairement de l’exploitation

  1. Vraiment passionnant, c’est le genre de réflexions qui m’intéressent beaucoup. Notons cependant que lorsqu’il s’agit de « définir une exploitation respectant les mêmes standards éthiques pour les humains que pour les autres animaux », on est assez loin de standards « éthiques » même pour les humains actuellement… certes on ne les tue pas à la chaine pour les consommer, mais des morts indirectes il y en a, des préjudices graves aussi (ce qui nous rappelle régulièrement que toute exploitation doit être combattue et que notre rapport au travail aussi doit être revu)

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  2. Intéressant ! Merci pour l’article.
    Je rebondis sur l’utilisation du fumier par exemple. J’entends de plus en plus souvent parler d’agriculture végane mais je ne vois pas en quoi utiliser du fumier empêche de se qualifier de végane. Par exemple, j’ai un cheval que je ne monte pas et dont le ramassage et l’exportation du fumier est évidemment nécessaire pour la propreté de son pré. En quoi épendre son crottin est une exploitation ?
    Bien sur, cela n’est réalisable qu’à petite échelle, mais je pense que c’est une remise en cause de notre monde capitaliste-productiviste qui doit être remis en cause ; cela va dans ce sens …

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