Les mots qui hérissent : Indécent

Si vous êtes militante*, vous avez probablement été confrontée de nombreuses fois à un mot censé mettre fin à toute réflexion ou discussion : indécence.

La décence est définie dans le dictionnaire comme « le respect des convenances » ou de la bienséance, soit la conformité « avec les usages reçus, les mœurs publiques, le temps, le lieu, etc.». En appeler à la décence est donc un appel à la norme. Un appel à considérer ce qui est ancien, habituel ou répandu comme intrinsèquement bon.

S’il existe un discours où l’appel à la décence à sa place, c’est bien dans celui des traditionalistes, réactionnaires et oppresseurs de tout poil, pour qui appeler à la décence permet de mettre court à toute velléité de rébellion contre l’ordre établi. Retrouver un appel à la décence dans le discours de militantes anti-oppressions est en revanche pour moi une aberration. Il y a des dizaines de moyens de rappeler à une personne qu’elle dépasse les limites de ce qui est admis dans un système social (groupe, forum, mouvement…), sans ériger sa norme en valeur cardinale. Nous pouvons refuser l’agressivité, le mensonge, la volonté de nuire ou encore la diffusion d’idées tenues comme coresponsables de milliers de victimes. Nul besoin pour ça d’en appeler à la décence.
La décence est justement une idée coresponsable de milliers de victimes. Au nom de la décence et de la défense des traditions et normes sociales, des individus sont emprisonnés, mutilés, tués. Je ne parle pas ici de quelque chose qui serait spécifique à l’exploitation animale, au patriarcat ou au racisme mais à tous les systèmes d’oppression existant. La manière de penser la tradition, la norme ou la décence comme une valeur positive qu’il est possible d’opposer à toute remise en question, est à la source même des oppressions que nous combattons.

Alors oui, défendre la décence est vraiment indécent.

*j’utilise ici un féminin neutre parce que les normes m’insupportent

8 commentaires sur “Les mots qui hérissent : Indécent

  1. J’avais jamais pensé à ça ! À voir si y’a pas un autre usage qui s’est développé et à quel point il est pertinent… Ca peut aussi avoir le sens « seuil minimal acceptable » pour quelque chose. Par exemple un revenu décent, c’est un revenu acceptable, en dessous de ca ce serait choquant. Je l’interprète dans ce sens là quand je lis quelqu’un parler de l’indécence d’un politicien quand il récupère politiquement un drame par exemple : il n’a pas le minimum acceptable de retenue, d’empathie, de tact… à relier peut être à la forme anglaise, « a decent human being », qu’on trouve parfois traduite maintenant ?

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    1. Même dans le sens de « retenue » ou « sans exagération » qu’on trouve (peu) dans les dictionnaires, on retombe sur un appel à la norme. Car qu’est ce qui définit ce qu’est l’exagération ou le seuil minimal acceptable ?
      Les définition de « decent » en anglais sont en fait très similaires aux définitions françaises (j’avais aussi exploré cette piste).

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      1. J’y voyais un aspect ironique dans les propos que j’entendais autour de moi, mais c’est vrai qu’ils sont probablement pas représentatifs de l’usage du mot, si on en fait un usage ironique c’est qu’au fond on voit bien que c’est un appel à la norme… Je penserai à ça à l’avenir

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  2. Dans le même dictionnaire (Larousse) il y a aussi cette définition : « Dignité dans l’expression, les manières ; réserve, discrétion, tact : Ayez la décence de vous taire. »

    Ce n’est pas noire ou blanc…

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