Les différents courants de l’animalisme

Pour les personnes qui découvrent le milieu militant, il peut être utile de pouvoir situer les différents tensions idéologiques qui le traversent. Quelques articles se sont déjà essayés à le faire à propos de la lutte féministe.

La lutte pour les droits des animaux s’est développée plus récemment et est encore jeune. Les différents courants présentés ci-dessous sont rarement (et heureusement) assez clivant pour empêcher les militantes* de camps opposés de travailler ensemble.

Sans aller jusqu’au sophisme du juste milieu, il me semble qu’utiliser divers angles d’analyse est préférable pour mieux retranscrire la réalité.

Lorsqu’il s’agit plutôt d’oppositions stratégiques, il faut se rappeler qu’une stratégie militante ne peut pas être analysée en dehors de son contexte d’application (actrice, audience, objectif, contexte social, etc.) et que différentes stratégies peuvent être en conflit et/ou complémentaires.

Toujours est-il que (de ma propre expérience) le rejet en bloc des positions divergentes et le dogmatisme sont souvent des signes d’incapacité à la remise en cause et à l’amélioration de sa réflexion, qui nuisent certainement à la cause animale. N’hésitez donc pas à vous intéresser à chacune de ces positions, et surtout à celles qui correspondent le moins à vos intuitions.

Les différents courants de l’animalisme en opposition

Ce qui suit a été écrit en visant l’objectivité. Les approximations ou prises de position dans les descriptions sont cependant difficilement évitable dans un format court. N’hésitez pas à proposer vos ajouts ou corrections en commentaire.

Syntaxe :

Appellation position 1 / autre appellation position 1 / … (définition position 1) [figure(s) emblématique(s) position 1] Vs. Appellation position 2 / autre appellation position 2 / … (définition position 2) [figure(s) emblématique(s) position 2]

Positionnements idéologiques

Spécisme (la défense de certains animaux est prioritaire en raison de leur espèce, et peut se faire au dépend des animaux de rente) [SPA, WWF] Vs. Antispécisme (les intérêts des animaux doivent être pris en compte, indépendamment de leur espèce) [L214, 269 life]

Conséquentialisme / Utilitarisme (il n’y a pas d’acte bon ou mauvais en soi, seules comptent les conséquences d’une action ou non-action) [Peter Singer, David Olivier] Vs. Déontologisme (dans l’absolu, certaines actions sont bonnes, d’autres mauvaises, peu importe leurs conséquences) [Andrew Linzey]

Théorie des droits (ce sont les droits inaliénables qu’il faut respecter) [Tom Reagan] Vs. Théorie des intérêts (les individus ont des intérêts qui leur sont propre et qui doivent être pris en compte) [Peter Singer, Gary Francione]

Sentientisme (seuls les êtres capables d’expériences qui leur sont subjectivement agréables ou désagréables ont des intérêts pouvant être respectés) [Estiva Reus] Vs. Biocentrisme (chaque être vivant à droit au respect) [Fédération Végane]

Gradualisme (certains individus sont plus sentients que d’autres et méritent plus d’attentions) [ce blog, Tom Regan] Vs. Egalitarisme (tous les individus sentients / sujets d’une vie doivent être traité avec autant d’égards) [Francione]

Naturaliste / anti-RWAS  (Reducing Wild Animal Suffering) (la nature est bonne, il faut la respecter et éviter au maximum d’y intervenir) [Aymeric Caron, Zoopolis] Vs. Interventionniste / RWAS (ce qui existe sans intervention humaine ne le rend ni meilleur ni moins bon, nous devons intervenir lorsqu’il nous est possible de rendre les choses meilleures) [David Olivier, Yves Bonnardel]

Contractualistes (certains animaux non humains peuvent trouver intérêt à coopérer en société parmi les humains) [Zoopolis] Vs. Séparatistes (les animaux ne pouvant consentir librement, travailler avec eux revient à les exploiter) [Gary Francione]

Stratégies et méthodes d’actions

Réformisme / Welfarisme  (recherche de l’amélioration des conditions d’exploitation vis-à-vis des animaux, sans nécessairement viser à l’abolition de l’exploitation) [CIWF, Confédération Paysanne, Henry Spira, L214, Martin Balluch] Vs Abolitionnisme fondamentaliste / Abolitionnisme** / Francionisme (le changement dans la société se fait nécessairement par sursaut moral, que les réformes retardent) [Gary Francione]

Réformisme non abolitionniste (restreindre la violence et le nombre de victimes de l’exploitation animale est suffisant) [CIWF, Confédération Paysanne] Vs. Abolitionnisme réformiste / Néowelfarisme (recherche à améliorer les modalités de l’exploitation animale dans le but de réduire les souffrances et se rapprocher de l’abolition) [L214, Martin Balluch]

Stratégie véganiste / de conversion (pour changer la société, il faut changer les individus qui la constituent) [Cube of Truth] Vs. Stratégie institutionnelle / politique (pour changer les individus, il faut changer la société qui les conditionnent) [Animal Politique]

Réductionnistes (agir pour réduire la consommation moyenne de produits animaux d’un grand nombre d’individu est plus efficace) [Vegan Strategist] Vs. Véganistes (agir pour faire stopper la consommation de produits animaux d’un nombre d’individus restreints mais déterminés est plus efficace) [Gary Francione]

Confrontationnel / Action directe (mener une lutte de terrain pour nuire à l’exploitation animale) [ALF, 269life Libération Animale] Vs. Non-confrontationnel / Soft power (chercher à influencer en faveur des animaux) [Blogueuses et youtubeuses]

Communication choc (choquer permet de faire sortir les gens du déni) [Cube of Truth, 269life-France] Vs. Communication soft (influencer et informer en évitant de provoquer le rejet) [AVF, Fédération végane]

Convergence universaliste (les oppressions humaines et animales ont de nombreux points communs qu’il faut mettre en évidence pour faire converger les luttes) [Solveig Halloin, David Olivier] Vs. Intersectionnalité exclusive (chaque lutte doit rester spécifique, les premières concernées doivent rester en pleine possession de leurs luttes) [Antigone XXI]

*L’auteur de cet article est dans le camp de l’utilisation du féminin neutre dans un contexte où la majorité des militantes sont des femmes, en opposition à l’inclusif et surtout au masculin neutre « par défaut ».
**Le CIWF est réformiste non-abolitionniste (il ne se prononce pas sur l’abolition) alors que la Confédération Paysanne est réformiste anti-abolitionniste. L214 est réformiste abolitionniste, comme mentionné plus bas.
Un vocabulaire confus et une mise en opposition discutable a été diffusée à l’initiative de Gary Francione autour des termes welfarisme et abolitionnisme. Pour plus de détails, consulter cet article de la Carotte Masquée.

5 commentaires sur “Les différents courants de l’animalisme

  1. Excellent article. Il me semble que presque toutes les lignes de clivage sont bien reprises. Au niveau stratégique, j’ajouterais peut-être le débat que j’ai pu observer très souvent sur les réseaux sociaux entre ceux qui pensent que les grosses sociétés capitalistes doivent être boycottées même quand elles proposent des produits véganes et ceux qui pensent que nous avons besoin de faire de ces sociétés nos alliés et les encourager du mieux qu’on peut.

    En ce qui concerne le welfarisme, tu as probablement raison de présenter le débat de façon clivée, c’est plus pédagogique… Mais je pense qu’il faut garder à l’esprit que l’on peut être abolitionniste tout en pensant que les améliorations sont bonnes à prendre. Bonnes à prendre pour les animaux immédiatement concernés mais aussi bonnes à prendre en vue de l’abolition (par exemple, l’augmentation des coûts de production de la viande aura un effet sur la consommation finale). Je n’ai jamais constaté qu’un progrès avait un effet contre-productif, bien au contraire. Francione est démenti par les faits depuis toujours et ça ne semble pas empêcher les Francioniens de se croire plus malins que tout le monde. Donc, on peut être abolitionniste et soutenir l’amélioration des conditions de vie des animaux de rente. Si je peux me permettre, je pense que tu te trompes en mettant L214 dans la catégorie welfariste.

    Raisonnement similaire pour le réductionnisme qui peut être un bon moyen de faciliter le véganisme : Plus de produits véganes au supermarché grâce aux « flexitariens » donc plus de facilités in fine pour devenir végane.

    Je trouve très bien que tu parles aussi des vitalistes. Des gens bien étranges qui pensent que le respect des intérêts et des droits d’un être vivant n’a aucun rapport avec sa sentience… Est-ce que tu connaîtrais un auteur intéressant qui défend ce point de vue ? Comme toi, je ne connais que l’autoproclamée Fédération végane pour défendre ce « point de vue ». Petite anecdote : La personne qui administre le groupe Facebook Vive la B12 (groupe créé par la Fédération végane) m’a bloqué parce que je soutenais que la sentience était le seul bon critère. Pour lui, le fait d’accorder plus de valeur à une vache qu’à une carotte, c’est déjà du spécisme.

    Je pense que tu peux aussi supprimer le point d’interrogation que tu as mis à côté de Francione, en ce qui concerne le séparatisme. C’est effectivement sa position.

    Voilà, voilà, pour mes quelques petites remarques. Désolé d’avoir été trop long.

    Aimé par 1 personne

    1. Ton commentaire sur le rejet des grosses entreprises me fait penser à un désaccord plus large sur des personnes qui pensent que l’exploitation ne pourra être abolie tant qu’on aura pas aboli le patriarcat (S. Halloin) et/ou le capitalisme (T. Lagarde, il me semble).

      Les divergences sur le welfarisme sont expliquées en note de bas de page, avec des welfaristes abolitionnistes, non-abolitionnistes ou anti-abolitionnistes. Pour le réductionnisme c’est un peu différent, je ne crois pas qu’il existe d’anti-réductionniste parmi les abolitionnistes, mais juste des gens qui pense que ce n’est pas le chemin le plus efficace.

      Je ne connais pas d’autres vitalistes, mais je me suis aussi fait bannir d’un autre gros groupe de type « pour le vivant » pour avoir parlé de sentience, donc cette position n’est pas exclusive à la fédération végane.

      Merci pour ton commentaire. J’ai retiré le « ? » de Francione.

      J’aime

      1. J’ai honte : Je n’avais pas lu les notes de bas de page 🙂 Je comprends ta nomenclature mais j’ai l’habitude de voir le mot walfarisme pour des gens qui ne défendent pas l’abolition et le mot néo-walfariste pour les autres. Je crois que L214 n’appréciera pas de se voir classer comme welfariste, malgré la note de bas de page qui clarifie effectivement tout ça.

        J’aime

  2. Bonsoir, merci pour l’éclairage fort instructif .

    Quand tu écris :
    – « Théorie des droits (ce sont les droits inaliénables qu’il faut respecter) [Tom Reagan] Vs. Théorie des intérêts (les individus ont des intérêts qui leur sont propre et qui doivent être pris en compte) [Peter Singer, Gary Francionne] »…

    je ne pense pas que ces deux théories s’affrontent, je les vois plutôt comme complémentaire.

    -« Contractualistes (certains animaux non humains peuvent trouver intérêt à coopérer en société parmi les humains) [Zoopolis] Vs. Séparatistes (les animaux ne pouvant consentir librement, travailler avec eux revient à les exploiter) [Gary Francionne] »…

    perso, je ne me reconnais ni dans une position ni dans l’autre. En quelques mots, je pense que dans une société vegane, on pourrait vivre avec des animaux si ces derniers le souhaitent, qu’ils seraient « nos amis » au vrai sens du terme mais qu’ils n’ont pas « à coopérer » voir ici : https://veganarchismeinclusif.blogspot.com/2017/12/le-veganisme-inclusif.html

    Pour le reste, ça me va !
    Salutation veganarchiste !

    J’aime

Laisser un commentaire